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Pierre chemine
9 juillet 2015

Pierre a cheminé du Puy en Velay jusqu'à Roncevaux

Pierre a cheminé du Puy en Velay jusqu'à Roncevaux

 

L'extraordinaire se trouve sur le Chemin des gens ordinaires

Paolo Coelho

 

Comme un modeste bilan de cette première partie de mon pélerinage, sous forme d'extraits d'écrits glanés au long de ces trente trois jours.

 

Ecrit dans le train qui me ramène à Nantes, lundi soir 8 juin.

 

Voilà, cette première moitié de mon Chemin vers Compostelle prend fin ce soir, au terme d'une journée de voyage, nécessaire pour aller de Roncevaux à Nantes et profiter ainsi d'une douce transition ! La nuit tombe, le train a quitté Saumur, et je suspens ici la lecture du livre d'Alix de Saint André au moment où elle quitte Roncevaux.

 

Roncevaux, d'où je commencerai l'an prochain au printemps, la deuxième moitié de mon Chemin.

 

Je ressens ce soir combien la partie française de mon Chemin, celle qui part du Puy en Velay et mène à Saint Jean Pied de Port, la Via Podiensis, aura été un Chemin spirituel, solitaire et de liberté intérieure. J'ai aimé marcher seul, ce que j'ai fait pratiquement tout au long de ces 33 jours, avec quelques exceptions,lesquelles ont été autant de moments de partage fort avec un autre pèlerin, dans une grande qualité d'attention et d'écoute. Et bien sûr, de petits bouts de Chemin avec certaines des amitiés nouées, peu nombreuses, peu verbeuses, et également pleines de bienveillance.

 

Chemin solitaire, profondément tracé autour des visites d'églises dans lesquelles (sauf rares exceptions) j'ai chanté à pleine voix, dans la découverte que mon chant me donnait une belle et forte énergie pour poursuivre ma marche. Quelques émouvantes rencontres et opportunités dans ces moments (la chapelle de Saint Sernin où je choisis par hasard de chanter à Pauline et Morrel« the rose », sans savoir que c'est le jour de leurs 42 ans de mariage et que cette chanson est une de leurs chansons favorites, ou ce vieux couple dans l'église d'Espalion, que j'ose « déranger » dans sa douloureuse prière, et encore Veronica, amie irlandaise, touchée par mon chant dans l'église de Roncevaux et qui m'a offert après un verre de soda en remerciement!)

 

Chemin de découverte incroyable de mon corps, de ses ressources et de ses faiblesses. J'ai été, tout au long de ces 33 jours et 750 kilomètres, animé d 'une « foi » inébranlable, d'une énergie qui m'étonnait moi-même, avec très peu de baisse de régime, pas de plainte (« le pèlerin ne se plaint pas ») et dans la joie, chaque jour, de parcourir les derniers kilomètres !... C'est, dit-on, la magie du Chemin qui fait que chaque matin, le sac est installé sur les épaules fébrilement, les bâtons mis en marche et l'étape hardiment attaquée. Voilà en tous cas ce que j'ai vécu et ressenti pour moi-même.

 

Les conditions climatiques de ce mois ont été particulièrement exceptionnelles : un seul jour de pluie et une dernière étape pyrénéenne dans des conditions idéales. L'intense chaleur de certaines journées ne m'a pas déplu, je me suis rarement défait de mon pantalon et de mon vêtement Goretex jaune ! Les suées ont été abondantes et largement consenties. Mes pieds ont développé comme une sorte de protection, pratiquement pas d'ampoules, ou alors des ampoules pas gènantes... Et cela alors que j'ai vu autour de moi bien des pèlerins souffrir et certains hélas abandonner. J'en sors, bien entendu, avec une immense gratitude, et la résolution de poursuivre l'exploration de ce que je considère être une immense chance d'être ainsi « servi » par mon corps. Bien sûr, je pense à Patrick, un de mes premiers compagnons de soirées, avec ses problèmes de santé dantesques, je pense aussi à Nicole, percluse d'ampoules, ou à Pascal, qui souffre d'arthrose et était désolé, samedi, de devoir renoncer à monter à Roncevaux.

 

Etonnant, très étonnant compagnonnage de liberté, ces nombreux pélerins rencontrés, vus et revus, perdus et retrouvés, complicités de partage d'une ou plusieurs soirées, de marches ensemble, de petites solidarités discrètes et toutes gratuites. Cela crée comme une petite communauté, dont personne ne peut se sentir exclu, en dépit des clivages que peuvent susciter la langue ou la diversité des motivations. C'est comme un champ de forces (un makam), qui s'est constitué peu à peu, plusieurs champs même, certains de très courte durée, d'autres plus durables, tous marqués de l'empreinte de l'éphémère.

 

N'est ce pas le signe évident que tout pèlerin est avant tout un exilé, un être qui a « quitté » et qui marche dans une quête perpétuellement inassouvie ? Voilà pourquoi, à mes yeux, le Chemin ne s'arrête pas, et surtout pas ni à Compostelle, ni à Finisterra ! C'est une voie impénétrable, inattendue, à l'image de celle de Vincent, qui me disait encore hier soir à Roncevaux qu'il n'arrivait pas à se décider entre le Camino Frances et le Camino del Norte. Vincent, je l'ai aperçu marcher ce matin, sur la route qu'empruntait le bus qui me descendait de Roncevaux vers Saint Jean Pied de Port, descendant lui aussi de Roncevaux, après avoir, finalement, dans la nuit, pris la décision de prendre le Camino del Norte pour poursuivre son Chemin.

 

J'ai également appris que le Chemin a ses règles, très précises, que chacun peut librement et à ses propres risques décider de suivre ou de ne pas suivre ! J'ai quant à moi été, me semble-t-il, un « bon élève » (sauf en ce qui concerne l'heure du départ le matin et d'arrivée le soir !...), sur le plan de la préparation matérielle (grâce à mes coachs d'enfer!), et de l'observation des rituels : le remplissage du sac à dos le matin, la préparation du pique-nique du midi, l'arrivée à l'étape l'après-midi (douche, lessive, repos et flanerie) , la « vie commune » le soir dans les gîtes. C'est une histoire très sérieuse, une discipline exigente, finalement, malgré tout l'humour qui la traverse à tout instant et qui permet de surmonter chaque difficulté ! La simplification, la vie avec peu de choses, la réduction au strict minimum de l'anticipation matérielle (les foutues « réservations ») sont autant de lignes de force de la vie du pèlerin. Et j'ai appris là beaucoup en observant les jeunes que j'ai cotoyés, dans leur capacité à improviser et faire confiance.

 

Revenir sur mon objectif et mes motivations, questions si souvent posées par les pèlerins rencontrés, dans l'éphémère d'une courte marche ou dans un gîte.

 

Il est certain que, du fait de mes ennuis de santé, la décision qui s'est imposée à moi de marcher cette année sur la Via Podiensis du Chemin de Saint Jacques de Compostelle, celle qui mène du Puy en Velay au col de Roncevaux, a contribué à modifier ma perception de mon objectif et de mes motivations.

 

Ecrit dans l'oratoire du centre Bethany à Eauze, vendredi 29 mai

 

Mon objectif, comme je me le dis chaque jour, c'est de marcher sur le Chemin, et, à force de marcher, d'arriver un jour à Santiago ! Chaque étape est unique et doit être considérée comme telle.

Il y a également le besoin de me prouver à moi-même, après mes deux difficiles épisodes de santé de ces dernières années , que je suis capable de mener à bien ce projet, né dans ma tête dès 2012, réaffermi dans mon journal intime en mars 2013, avec l'échéance notée du printemps 2015. A l'époque il n'y avait pas de motivation précise, sinon de faire un long break après la fin de mon activité professionnelle, pour fixer les repères de la vie nouvelle que j'avais entamée.

 

Et ce que j'apprends sur le Chemin c'est bien une nouvelle approche, un regard neuf sur la Vie, la mienne, et aussi sur les personnes que je rencontre, toutes et tous traversés diversement par les bonheurs et les épreuves de la vie.

 

C'est ce regard transfigué que je souhaite porter désormais, à l'image de l'icône de la Transfiguration qui est là, dans ce petit oratoire.

 

Et mes motivations ?

 

Extrait du blog, 22 mai

 

Peu après Cahors, au gîte des Mathieux, un enquêteur du Syndicat d'Initiative de Cahors, m'aborde et me sollicite pour répondre à une petite enquête, statistique oblige. Je réponds consciencieusement à ses questions (tout en pensant aux améliorations possibles du questionnaire, déformation ex-professionnelle) et j'apprécie hautement LA question que j'attendais: « votre motivation pour marcher » !!! Heureusement c'était une question à choix multiples. Tout s'éclaire pour moi, pauvre pèlerin toujours en quête de sens: quatre possibilités (« vous pouvez en choisir plusieurs » me dit l'enquêteur ) : quête personnelle, motif religieux, la découverte de la nature, ou le tourisme ! j'ai répondu en bredouillant "le premier, enfin tous un peu..." Je ne suis pas vraiment avancé . 

 

Et aujourd'hui, suis-je plus avancé ? Bien sûr, la quête personnelle, spirituelle, s'est peu à peu imposée à moi, dans mon souci de marcher le plus souvent en solitaire, d'articuler mes pauses au passage dans les églises et les chapelles (j'en ai compté 113, et j'y ai chanté dans plus d'une centaine, les autres étaient soit fermées, soit déjà baignées d'une ambiance musicale...), dans mon souci également de rencontre de personnes animées d'une quête personnelle (perceptible dès les premiers mots partagés), mais également dans la concentration à chacun de mes pas (hélas pas toujours suffisante, chûtes à l'appui), et le souci de la qualité de mes lieux de repos et de gîte.

 

Le petit livre de pensées bouddhistes que j'avais avec moi a été précieux pour alimenter ma réflexion au quotidien. Oh, certains jours, j'étais plus dans la préoccupation matérielle de mes pieds, de la lourdeur de mon sac sur le dos ou des kilomètres parcourus à mon goût trop lentement ! Mais le plus souvent, je me suis plu à réfléchir à ces maximes exigeantes portant sur le refus de la colère, sur la bienveillance, la persévérance, la transformation des épreuves en pensées positives...

 

C'est ainsi que j'ai donc peu à peu fait mienne l'idée que « le pèlerin ne se plaint jamais ». A quoi, plusieurs pèlerins m'ont répondu en précisant : « le pèlerin ne devrait jamais se plaindre » ! Prendre chaque événement (et il y en a eu au long des jours) comme il se présente, l'accepter et l'intégrer dans le pélerinage, cela a été une belle découverte pour moi.

 

Trois grandes idées force se dégagent de mes réflexions des derniers jours de marche : la liberté, le lâcher-prise, et l'instant présent.

 

Dans mon cahier, écrit le vendredi 5 juin

 

Le maître-mot, peut-être, liberté, liberté de choisir ce que je voulais vivre :

 

  • choisir de marcher seul dans la journée, ce qui a été le cas à quelques exceptions près : les deux heures avec Jean Guy entre Laressingue et Lectoure, l'heure de marche avec une pèlerine dont je ne sais le prénom et qui m'a entrepris sur ses histoires de famille, les courts trajets avec Dani, une suissesse passionnée par la musique et enthousiaste sur mes chants d'église, Flora et Timothée qui m'ont fait parler sur le Burundi pendant deux heures, et les amis de plus longue date, avec lesquels je marchais quelques minutes : Patrick et Bernand, Patrick (les premiers jours) Morrel et Pauline (sud-africains), Luc,Vincent et les autres...

  • Choisir de partir « tard» le matin, et de rester « éveillé » tard le soir ; c'était pour moi le privilège de rencontrer et parler avec mes hôtes (je pense à Frédérique, Isabelle, Danielle, Vincent, Anne, Lou Raynal, Marie et Yves,Maria et Fabian,...).

  • Choisir de m'arrêter fréquemment et assez longtemps, musarder sur le Chemin, et chanter systématiquement dans toutes les églises et chapelles ouvertes sur le trajet.

  • Choisir de tenir un blog (une heure à une heure et demi chaque jour!) d'abord pour ma propre mémoire, et aussi pour partager avec la famille et les amis les moments forts, mes réflexions, mes ressentis.

 

Cette liberté restait bien sûr contrainte par les kilomètres à parcourir chaque jour, mais le choix également de ne pas réserver mes gîtes d'étape sinon la veille m'a donné une belle flexibilité dans le trajet, en particulier pour m'arrêter quelques kilomètres avant ou après les étapes « prévues », et également moduler la longueur de mes étapes (de 9 kilomètres le jour de mon étape vers Conques à 34 kilomètres entre Aire sur l'Adour et Arzacq...).

 

La deuxième idée-force s'est imposée après les premiers jours de marche : le lâcher-prise.

 

Ecrit à Saint Jean Pied de Port, le samedi midi 6 juin

 

Deuxième point important, le lâcher-prise, l'acceptation de ce qui est :

  • Ne pas résister au corps qui résiste !!! Combien de pèlerins ont dû abandonner à vouloir résister à leur corps, le forcer. Il s'est agi pour moi d'accepter ce qui était (en particulier la douleur costale après ma chute), d'y saisir, encore et toujours, des signes : les « erreurs » (réflexions bouddhistes) à constamment corriger. En l'occurence, le manque d'attention à chaque pas, attention qui permet d'éviter la chute !

  • Le lâcher-prise également sur la gestion du temps (ne pas anticiper les heures d'arrivée), sur les gîtes d'étape (inquiétude sur la réservation du gîte, plus de place, peur de ne pas trouver de nourriture). C'est la confiance absolue en ce qui doit arriver !

  • Le regard sur « la nature » qui est souveraine et décide : du temps qu'il fait, du trajet qui s'impose et se module sur les conditions climatiques ! Capter dans le brouillard du petit matin, la beauté de la nature qui se dévoile et non rechercher où mène ce virage...

     

     

    Le lâcher-prise, jamais total, a été pour moi fondamental pour vivre pleinement les multiples petits événements qui se sont présentés. Je m'y suis attelé, pas facile, les vieux démons du mental toujours à l'affût. Cela me fait penser à une conversation avec une pèlerine qui me disait son inquiétude de rependre le travail « lundi prochain », ce à quoi je lui ai répondu : « occupons nous de notre journée de marche, à chaque jour suffit sa peine ! ». Elle a beaucoup apprécié et est venue me le dire quelques heures plus tard...

 

La troisième idée force, liée aux deux autres est celle de l'instant présent

 

Ecrit à Roncevaux, dimanche soir 7 juin

 

Vivre l'instant présent. Je l'ai ressenti très fort aujourd'hui, dans la descente vers Roncevaux, descente abrupte et périlleuse dans la forêt, pendant laquelle, régulièrement, je remettais mon mental à l'ordre avec un « warning, warning, Pierre », exprimé à voix haute,pour revenir à l'attention extrême à mes pas et éviter ainsi le risque d'une chute.

 

Ce thème, il me faut le décliner, ce que j'ai fait par la pensée (!) aux moments relativement calmes de ma marche du jour :

  • attention, donc, à chacun de mes pas !

  • attention aux objets, à « mes » objets, mon sac à dos et son contenu, précieux et indispensable ;

  • attention aux personnes rencontrées, à leurs paroles, leurs gestes, leurs besoin d'écoute ;

  • attention aux moments de grâce, de plénitude, quotidiens et fréquents, sucités par un paysage, un chant, une parole entendue, une odeur.

 

 

C'est un travail certainement facilité par le contexte si particulier du pélerinage, dans cette réalité de liberté et de lâcher-prise. Voilà résumé pour moi clairement l'enjeu « spiritue » du Chemin. Saurai-je saisir l'opportunité unique de renforcer cette attention au « retour » à la vie normale » et faire qu'elle ne s'éteigne pas ?

 

 

 

Les trois lignes de force : liberté de choisir, lâcher-prise, instant présnt, résument bien et si clairement pour moi l'enjeu spirituel du Chemin vers Compostelle.

 

Le Chemin ne s'arrête pas !

20150510231735807

A moi de me le prouver et d'avancer !

 

 

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